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Le dollar : leur devise, notre problème !

La dollarisation procède d’un choix rationnel des agents économiques. Si ce processus peut notamment être le vecteur d’une meilleure intégration à l’économie mondiale, il peut également se révéler une épreuve complexe : « Le dollar c’est notre devise, mais votre problème », dixit le Secrétaire d’Etat au Trésor John Connally sous le Président Richard Nixon.

Au cours des dernières décennies, l’utilisation du dollar américain a imprégné toutes les facettes de l’économie congolaise, y compris pour les transactions de petite taille, en réponse à l’inflation et à l’effondrement de la monnaie nationale vécue de façon dramatique dans les années 1990, et depuis 2001, la réglementation autorise les opérations de financement en devises étrangères ainsi que leur détention. 

La « dollarisation » se produit lorsque les résidents d’un pays adoptent une monnaie étrangère – généralement le dollar américain ou l’euro – comme monnaie de substitution. Elle existe fondamentalement sous deux formes.

La première, la « dollarisation partielle » se produit quand un pays détient une monnaie étrangère et accepte que les transactions soient dénouées dans cette dernière sans pour autant qu’elle ne soit sa « monnaie légale ».

La « dollarisation intégrale » se produit quant à elle lorsque le pays abandonne sa propre monnaie et accepte une autre devise comme monnaie légale.

Dans le cas de la RDC, bien que le dollar – essentiellement – agisse en unité de fixation du prix des biens et des services et en instrument de paiement et de détention de l’épargne, seul le franc congolais a cours légal. Mais celui-ci est bel est bien devenu une monnaie de substitution et une monnaie refuge, reléguant la devise nationale à une fonction plus marginale comme en atteste une étude du cabinet Deloitte rapportant que, à la fin 2017, 82% des dépôts et 85% des crédits étaient libellés en dollars américains dans le système bancaire national.

La dollarisation partielle est un phénomène qui s’observe en RDC, mais pas seulement. Plusieurs pays à travers le monde fonctionnent sous des régimes analogues sinon comparables, et en tirent des bénéfices comme des inconvénients.

Parmi les avantages, il y a certainement la perspective de réduire le risque pays, de créer un climat économique plus stable, d’atténuer le risque de change et d’encourager l’investissement.

La dollarisation offre également une alternative efficiente de placement pour les ménages quand les revenus sont en devise nationale et que l’inflation érode leur pouvoir d’achat, notamment quand les prix d’un grand nombre de biens et services sont soit libellés en devise, soit régulièrement indexés à l’évolution du taux de change.

La dollarisation peut aussi servir l’émergence d’un marché financier en facilitant, d’une part, les placements dans des titres du secteur privé, et, d’autre part, l’intégration de l’économie domestique avec les marchés internationaux.

Enfin, dans un contexte d’inflation galopante, il peut exister une complémentarité entre monnaies en ce sens que la monnaie étrangère assume les fonctions que la monnaie nationale assume mal ou ne peut plus assumer.

Néanmoins, en dépit des avantages qu’elle est à même de procurer, la dollarisation peut produire des effets négatifs.

Tout d’abord, parce qu’elle accroît la vulnérabilité du système financier. En effet, l’augmentation des transactions dans une devise étrangère suppose que la banque centrale domestique soit en mesure d’approvisionner les banques dans le cas par exemple de retraits massifs des dépôts dans cette devise. Il existe également un risque accru de défaut de créances pour ceux qui empruntent en dollars mais qui perçoivent leurs revenus dans la monnaie nationale. Par ailleurs, dans le cas particulier de la RDC, la libre circulation des devises constitue une opportunité d’approvisionnement pour les marchés frontaliers, condamnant les banques commerciales à une importation permanente et coûteuse de billets.

Ensuite, parce qu’un pays qui, partiellement ou entièrement, se voit renoncer à sa propre monnaie entame sa capacité à influencer directement son économie et à gérer sa politique monétaire. En outre, le profit tiré de l’émission de sa monnaie – le « seigneuriage » – est en (grande) partie transféré au profit du pays émetteur.

Enfin, parce que le pays émetteur de la monnaie détient un pouvoir amplifié sur le système financier du pays dollarisé. Les cas de la Commerzbank et de BNP Paribas – bien que ressortissantes de pays non dollarisés – ne manqueront naturellement pas d’interpeler : pour avoir accordé des prêts libellés en dollars américains devant être traités par des banques correspondantes aux USA à des personnes, des entités et/ou des pays ciblés par des sanctions, elles ont été condamnées respectivement à payer des amendes de 260 millions et 8,9 milliards de dollars américains !

Les expériences de la Bolivie, de l’Argentine ou encore de l’Uruguay ont démontré que la dollarisation est un phénomène persistant. Le défi réside donc au moins dans la capacité des économies dollarisées à pouvoir en tirer un réel bénéfice, tout en veillant à faire disparaître l’incertitude politique, les déséquilibres macroéconomiques profonds et la défiance de la population envers la monnaie nationale qui en sont les causes ultimes.

Henri Plessers

Associé – Directeur Exécutif

Financialis ACM

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